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L’économie du pourboire

L’économie du pourboire

Temps de lecture : 6 minutes

Drame shakespearien à la boulangerie. Mardi soir, en rentrant du boulot, la boulangère emballe votre pain au levain bio. Puis au moment de payer, ce message sur le terminal de CB : 10, 15 ou 20 % ? Oui, c’est bien une demande un pourboire. Alors, to tip or not to tip ?🥖

Ça vous paraît chelou ? C’est pourtant systématique aux US. Si en France, le pourboire a longtemps été “pour rire”, aux États-Unis, c’est un vrai pilier de l’économie des services. Et c’est de plus en plus le cas chez nous aussi. Alors avant de lui ouvrir grand les bras (et le porte-monnaie), Spoune vous dit tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les pourboires.💰

Le tip : top ou flop

Merci bien ma petite Spoune, vous êtes bien brave. Allez donc boire un coup à ma santé. 

Merci, Maître, vous êtes bon et généreux. Enfin… are you really ? Si on imagine au départ que le pourboire est une démonstration de générosité, en fait, historiquement, ce n’est pas vraiment le cas. Il suffit de regarder les étapes de son apparition :

  • Épisode 1 - Dans l’Europe féodale, les seigneurs récompensent leurs serfs avec un “vin du valet”, ou le “gracieux vin” – qui devait être une immonde piquette. 🍷

Généreux, le tip ? Bof. C’est surtout une réaffirmation de la hiérarchie féodale

  • Épisode 2 - Londres, dans les cafés aristos de la fin du XVIIème siècle. Selon une (jolie) légende urbaine, les clients pressés jettent une pièce dans des pots en métal “To Insure Promptness (TIP)”. Si le coup de l’acronyme est un mythe, la pratique, elle, est réelle. 🪙

Généreux, le tip ? C’est surtout un moyen d’améliorer la rapidité du service – pas non plus méga altruiste.

  • Épisode 3 - Au XIXème, le tip s’exporte aux États-Unis où il devient une manière de se distinguer en démontrant sa maîtrise des usages européens. 🇺🇸

Généreux, le tip ? Non, plutôt une pratique de distinction Bourdieu-style.  

OK Spoune, mais générosité ou pas, le beurre dans les épinards, ça fait toujours plaisir. Non ?

Beurre ou épinards ? C’est bien toute la question ! Est-ce que le pourboire est vraiment un complément de revenu ou, au contraire, un revenu ? Finalement, est-ce qu’on parle de pourboire… ou de “pour vivre” ?

Au moment de l’arrivée des pourboires aux États-Unis, vers 1860, les serveurs (majoritairement des hommes) sentent le loup : le pourboire devient un argument pour abaisser le salaire minimal. Après un gros mouvement de grève, le pourboire est interdit dans six États américains.Les hommes refusent les pourboires ? Pas grave, l’industrie de la restauration se trouve vite fait un plan B : les femmes et les afro-américains. Bon plan : ils travaillent la plupart du temps gratuitement mais peuvent toucher des pourboires. Dès lors, le tip n’est plus un bonus, mais bien un salaire de substitution. 

Hum, bosser pour un employeur sans qu’il vous paye ? Pas top, le tip…

On est d’accord. Bon, en France, c’est devenu rare : il n’y a guère que les ouvreuses des théâtres privés qui soient rémunérées au pourboire. Mais aux US le “tip” est entré dans le droit du travail. Pour les “tipped workers” (recevant plus de 30$ en pourboire par mois), le salaire minimum est plafonné à… 2,13$ de l’heure (vous avez bien lu), contre 7,25$ pour les autres. Et ça concerne 4 millions de personnes aux État-Unis – dont 70% de femmes...Mais alors, est-ce que le système du pourboire est juste une version un chouïa extrême de la méritocratie ?D’un côté, évidemment, il y a quelques belles histoires de pourboire (comme sur le compte insta Tips For Jesus) :

  • Le type qui a proposé de laisser la moitié de son billet de loterie à une serveuse en guise de pourboire. Le billet était gagnant (montant du tip : 3 millions de $)  💵

  • Paris Hilton après une soirée bien arrosée (montant du tip : 47 000 $) 🍾

Mais à part ces jolies anecdotes… ça marche pas ouf. La preuve par trois (si vous n’êtes pas encore convaincus):

  • Le pourboire récompense un bon service ?
    Faux ! Selon cette étude, le montant du pourboire ne dépend quasiment pas de la qualité du service, mais plutôt de la générosité (ou de la richesse) du client. Pour cette autre étude, le physique du serveur ou de la serveuse peut jouer… mais surtout chez les femmes, et seulement le soir.

  • Laisser le client décider du salaire d’un employé ? 
    Mauvaise idée. Qu’on le veuille ou non, ça crée une hiérarchie sociale inutile entre celui qui sert et celui qui reçoit. Et du petit dédain à l’agression sexuelle, il n’y a qu’un pas : dans les 7 États US où les serveuses ont un salaire minimum décent, le taux d’agression sexuelle est deux fois plus faible.

  • Petit pourboire, grand mépris...
    Si le pourboire ne concerne que les métiers du service, c’est aussi un symptôme de l’immense déconsidération de ces métiers… C’est ce qu’on pourrait appeler le syndrome Rachel : l’archétype de la serveuse qui ne sait rien faire d’autre et qui devrait déjà s'estimer heureuse d’avoir un job…

  • Et last, but not least :
    Dans certains restos (chez Starbucks US, notamment), les serveurs doivent même partager leur tips avec leur manager…

OK Spoune. Mais de toute façon avec la pandémie et la fin de cash, c’est aussi la fin du pourboire, non ?

Pas tant que ça, finalement. Aux Etats-Unis, la fin du cash a été rapidement compensée par l’apparition des pourboires sur les terminaux bancaires, entraînant une hausse de 20 % en moyenne. Au point que même les Américains, d’habitude à l’aise avec le système, trouvent que ça va trop loin… 

Et en France ?  À part laisser la monnaie au resto, on n’a pas une grande tradition du pourboire. Et maintenant que 89% de nos achats se font en CB, il passe souvent à la trappe. Sauf sur les applis type Uber et Deliveroo : le coursier à vélo qui vient vous livrer votre bò bún préféré un dimanche soir pluvieux à 22h mérite bien 2 € de pourboire, non ? Et le pourboire devient, moins qu’un signe de générosité, un symptôme de mauvaise conscience… La question est : est-ce que le seigneur féodal qui offrait son “vin du valet” avait mauvaise conscience, lui aussi ?

Alors si vous aussi, votre vision du progrès ne rime pas avec prime, dimanche soir prochain, fermez les applis et faites chauffer les marmites ! Au besoin, on vous glisse la recette des cacio e pepe au zaatar d’Ottolenghi – c’est cadeau. 

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