Si vous êtes jeune parent, vous avez dû vous en rendre compte. Et si vous ne l’êtes pas encore, on préfère vous prévenir : la vie de parent est un long chemin parsemé de cruels dilemmes. Donner la tétine - ou pas ? Donner de l’argent de poche - ou pas ? Déshériter ses enfants - ou pas ?
Si beaucoup cravachent toute leur vie en espérant laisser à leur progéniture un avenir meilleur, chez les milliardaires, c’est plutôt le contraire : après Warren Buffet en 1986 ou plus récemment Pierre-Edouard Stérin, ils sont de plus en plus nombreux à choisir l’option “déshéritage”. Manière assez radicale de transmettre “la valeur de l’argent” (à défaut de… l’argent).
Et vous, c’est quoi votre stratégie ? Comment parler d’argent à ses enfants ? Doit-on rémunérer les tâches ménagères ? Et les bonnes notes ? Comment donner aux enfants le sens de l’argent sans les transformer en des monstres ultra-libéraux pour qui tout se monnaie ?
Parce que la valeur (monétaire) n’attend pas le nombre des années et que de areuh à argent il n’y a qu’un pas, aujourd’hui, on vous explique comment rendre vos enfants money smart. Comment ? En répondant aux questions qu’ils vous poseront à tous les âges de leur vie.
(Spoiler : les pauvres, ils n’auront même pas besoin de lire Spoune quand ils seront grands...)
Mais au fait, a-t-on vraiment besoin de parler d’argent aux enfants ? 🧐
OUI. Ne serait-ce que pour faire de ses enfants des adultes responsables, futés économiquement et généreux. Mais aussi (voire surtout) pour les protéger du redoutable prédateur moderne qu’est la publicité, particulièrement efficace auprès des enfants. Et parler d’argent, c’est donc aussi leur apprendre à distinguer entre le besoin et l’envie…
Mais venons-en à ces fameuses questions.
5 ans - “Maman, je veux ça” 👶🏼
Pas besoin d’attendre l’âge de raison pour que votre bambin commence à s’intéresser à l’argent. Très vite, il va vouloir plein de choses (“Maman, je veux ce jouet”) sans réaliser leur valeur monétaire. Juste après ? Il voudra lui aussi pouvoir échanger ces billets colorés dans les magasins (‘Papa, je peux avoir de l’argent ?”) sans comprendre que l’argent est la contrepartie d’un travail.
Tips pour futur Spouner
Quelques techniques utiles pour faire passer des messages mine de rien :
- Parler à voix haute quand on fait ses courses avec lui
- Payer en espèces pour rendre plus concrètes les transactions
- Au quotidien, associer chaque métier avec ce qu’il est payé pour faire : le coiffeur coupe les cheveux, le médecin soigne les maladies...
7 ans - “Papa, nous, on est riche ou on est pauvre ?" 👧🏻
Très tôt, les enfants se rendent compte que certaines familles possèdent plus que d’autres. La première chose à faire ?
Lui demander pourquoi il pose la question.
Il a peur d’être dans la “mauvaise catégorie” ? Expliquez-lui qu’être pauvre, c’est ne pas pouvoir manger, se loger ou s’habiller. Si on a de quoi se payer tout ça; alors on n’est pas pauvre.
Il a entendu des adultes exprimer des inquiétudes financières ? Expliquez-lui que les adultes se font parfois du souci, mais que leur famille et leurs amis seront toujours là pour les aider.
Des enfants autour de lui sont confrontés à des questions de pension alimentaire, de faillite ou de surendettement ? Dites-lui que l’argent est un outil et non une finalité - même pour vous, ça ne fait jamais de mal de le rappeler.
Tips pour futur Spouner
Vous avez envie de sensibiliser votre enfant aux inégalités de la société pour faire de lui un adulte généreux et empathique ? Bonne idée. Mais ne vous loupez pas :
😊 Vraie bonne idée : l’inscrire à la colo organisée par la mairie de la ville.
😱 Fausse bonne idée : l'emmener en vacances dans un pays pauvre.
10 ans : “Maman ton job il est nul, moi quand je serai grand je veux être influenceur” ✈️
Autant vous y préparer tout de suite : un beau jour, la merveilleuse tête blonde que vous avez éduquée au plus proche de la Nature et loin des considérations bassement matérielles débarquera dans votre cuisine vous annoncer qu’il veut devenir influenceur à Dubaï.
D’après Patrick Avrane, psychanalyste et auteur de Petite Psychanalyse de l’argent, c’est normal. L’adolescence est une période de construction propice à toutes les remises en cause… et aux changements incessants. La semaine suivante, le même ado se découvrira sans doute une vocation humanitaire…
12 ans - “Mais papa j’fais c’que j’veux c’est ma thune”💸
Son argent, votre enfant l’aura obtenu de plein de manières :
- argent de poche donné sans contrepartie
- salaire d’une tâche ménagère ou d’un service rendu
- récompense d’un bon résultat scolaire
- enveloppe d’anniversaire ou de Noël
- petit boulot
- revente de ses affaires
L’argent de poche ? Au final, ça fait une “pocket” pas si petite que ça : en 2007, les transferts d'argent vers les enfants mineurs s’élevaient à 1,5 milliard d’euros en France. (Oui, milliard).
💰💰💰
Le problème de l’argent de poche ? C’est qu’il repose sur un malentendu
(comme le dit Gilles Lazuech, sociologue au CNRS) :
- Pour les parents, c’est un outil d’éducation
- Pour l’enfant, c’est un moyen d’émancipation, qui lui permet de répondre à deux choses :
1) un besoin identitaire, en s’achetant un jean plein de trous pour être la star du collège,
2) un besoin d’indépendance, en refusant les consignes parentales pour inventer son propre style.
Et l’indépendance d’un enfant, pour un parent, ce n’est pas toujours facile à accepter ! En même temps, si l’objectif est de l’aider à grandir, et qu’on apprend surtout de ses erreurs, une seule solution : il faut bien le laisser se planter…
14 ans : “Maman j’ai eu 18 en maths, tu m’achètes le dernier iPhone ?”📱
En ce qui concerne les contreparties, les opinions divergent. Certaines familles considèrent que rémunérer un enfant pour débarrasser la table est une manière odieuse de faire entrer l’ultra-libéralisme dans la sphère familiale. D’autres estiment au contraire que c’est une bonne façon de lui faire comprendre que « on n’a rien sans rien ».
On vous laisse choisir votre camp ! Mais apparemment, ces stratégies sont marquées socialement : selon Gilles Lazuech, les familles d’ouvriers ont tendance à récompenser les bonnes notes, tandis que les agriculteurs et artisans préfèrent rémunérer les taillages de haies et tontes de pelouse. Enfin, les milieux sociaux à fort capital culturel préfèrent le modèle altruiste, dans lequel l’enfant ne doit attendre aucune contrepartie.
De toute façon, les ados trouvent de plus en plus tôt d’autres sources de revenus, notamment avec la revente en ligne. Selon le baromètre 2020 de la néobanque pour ados Pixpay — une option pour les laisser gérer leur budget sans perdre votre tranquillité d'esprit, 58% des ados vendent leurs anciens vêtements sur des sites comme Vinted pour arrondir leurs fins de mois ! Ce qui en fait leur première source de revenu, loin devant les petits boulots (22%) ou les services payés (36 %). .
16 ans : “Mais Maman ça craint de mettre son argent à la banque” 🏦
On ne sait pas si votre enfant a plus tôt réussi le test du marshmallow et démontré sa sensibilité à la gratification différée. Si oui, il sera sans doute assez rapidement convaincu par le concept d’épargne - qui consiste en gros à renoncer à un kif présent pour préférer un bénéfice plus important dans le futur.
Pour certains enfants, mettre ses sous de côté vient très naturellement. Pour d’autres, il est nécessaire d’expliquer en détail à quoi sert l’épargne et de proposer des stratégies variées : tirelire, compte épargne, carnet de dépenses…
Ces petites économies ont deux fonctions :
- Développer un sentiment de sécurité
- Mettre de côté pour s'acheter, plus tard, quelque chose que l'on ne peut pas s'offrir aujourd'hui
Mais il n’y a pas qu’épargner ou dépenser : il y a aussi donner. Et comme disait Florent, “Savoir donner, donner sans reprendre", c’est important. Aux US, des pédagogues comme Ron Lieber dans The Opposite of Spoiled ou encore le duo père-fille Dave Ramsey et Rachel Cruze dans leur Smart Money Smart Kids (7 millions d’exemplaires vendus), donnent le même conseil : apprendre à son enfant à donner, à épargner et à dépenser sont d'égale importance.
Quelques conseils pour finir
À l’heure de Tiktok et d’Instagram, les enfants sont plus que jamais confrontés à ce que les autres montrent d’eux : les vacances à l’autre bout du monde de Lise ou le homard dans l’assiette de Charlie (à qui il n’a jamais parlé). Quand la vie des autres ressemble à une publicité Emirates, rappelez-lui que les réseaux sociaux ne sont qu’une vitrine et que l’argent peut servir à plein d’autres choses qu’à vivre à Dubaï. Et heureusement.
Crédits illustrations : Joanna Gniady (Illustrations 1, 3), Victoria Roussel (Illustrations 2, 4)