On en connaît tous au moins un : ce pote banquier d’affaires ou consultant dont le salaire annuel frôle les 100K mais qui, au moment de louer une maison pour les vacances de votre groupe de potes, n’a soi-disant “pas une thune”...
Affreux Gripsou ? Ou... investisseur ultra ambitieux qui cache bien son jeu ?
En réalité, si on parle “revenu disponible”, il est fort possible que votre pote blindé soit en fait ultra-endetté… et qu’il n’ait effectivement pas une thune sur son compte en banque (c’est même le cas d’Elon Musk — on y reviendra).
Mais pourquoi donc vouloir à tout prix s’endetter ?
À cause de ce mécanisme qui laisse perplexe les néophytes mais qui est le B-A-BA des tous les cadors de la finance : l’effet de levier. Avec la Spoune du jour, on va donc essayer de répondre à cette question :
L’effet de levier est-il le secret de la richesse ?
Réponse en bas de cette news.
L'effet de levier
Pas la peine d’y aller par 4 chemins : l’effet de levier, en finance, ça veut juste dire emprunter de l’argent.
Pourquoi cette expression ?
Au départ, l’effet de levier est ce truc dont on parle quand il s’agit de porter quelque chose de lourd—et qui serait même le premier “mécanisme” découvert par l’humanité — bien longtemps avant la roue. Aujourd’hui encore, on l’utilise partout : ciseaux, brouette, batte de base-ball, clé, plongeoir, casse-noix…
Comment ça marche ?
Les matheux résument ça comme ça : F1/F2 = L2/L1
Pour les autres ? Disons que plus vous appuyez loin du point d’appui, plus votre impact est multiplié. C’est pour cela que c’est plus facile de tourner un volant en le tenant sur le côté qu’au centre.Bref : un bâton, un point d’appui... et hop ! On soulève un rocher qui paraissait impossible à bouger. L’effet de levier a même inspiré à Archimède sa 2ème citation la plus célèbre (après « Eurêka ») :
« Donnez-moi un point d’appui et un levier, et j'ébranlerai la Terre »
Ébranler la terre, on ne sait pas. Mais s’acheter une maison et construire son patrimoine… sans aucun doute. Parce que de la même manière qu’en mécanique, un levier permet de décupler la force exercée, en finance, l’effet de levier permet de décupler la richesse.
Et ça, votre pote blindé et ultra-endetté l’a bien compris.
Pourquoi s'endetter rend riche
En tant que particulier, quand on pense dette, on pense au choix carcan d’infâmie ou case prison du Monopoly. En réalité, le monde des endettés se divise en deux catégories :
- ceux qui n’arrivent pas à rembourser — et qui sont en faillite 😭
- ceux qui remboursent, s’enrichissent, et se ré-endettent 💰
Bref, il n’y a pas que les pauvres qui s’endettent : les riches aussi adorent ça.
Pourquoi ? Parce que ça rapporte. On vous explique :
Imaginez que vous avez 100€ pour acheter une maison.
- Option A : vous achetez une maison à 100€, en payant cash.
- Option B : vous achetez une maison à 500€, en empruntant 400€.
Un an après, le marché immobilier a pris 10 %. La valeur de votre patrimoine ?
- Option A : 100 + (100*10/100) = 110€
- Option B : 500 + (500*10/100) - 400 = 150€.
Même en enlevant les intérêts de votre prêt (disons 2 % sur les 400€, soit 8€), le scénario B reste largement gagnant.
Tout l’intérêt de l’effet de levier, il est là :
Vous générez des profits grâce à de l’argent que vous ne possédez pas 💸💸💸
Et c’est ce qui fait que l’effet de levier est un mécanisme fondamental de notre économie. Tout le monde l’utilise, tout le temps :
- Les banques : avec seulement 8 % d’actifs en fonds propres (depuis la réglementation Bâle II), elles utilisent l’effet de levier pour prêter de l’argent qu’elles n’ont pas (et récupérer des intérêts au passage).
- Les entreprises : elles recourent systématiquement à l’endettement pour pouvoir augmenter leur rendement — comme l’explique parfaitement cette vidéo aussi courte que géniale.
- Les investisseurs : avec des mécanismes comme le LBO (leverage buy out), ils s’endettent pour racheter une entreprise qu’ils revendent 3 ans après avec une grosse plus-value (idéalement).
Chez certains milliardaires, le recherche de l’effet de levier tourne à l’obsession : en hypothéquant une collection d’art, par exemple. Mais l’exemple le plus extrême, c’est sans doute Elon Musk : il a préféré vendre ses 4 maisons du quartier de Bel Air à LA pour investir le montant de la vente (62 millions de dollars, tout de même). Et tant pis si en attendant il doit payer un loyer…
Pourquoi est-ce qu’Elon fait ça ? Parce qu’il est convaincu d’une chose : que le rendement de ses investissements sera plus élevé que le coût de son loyer.
Pardon Spoune mais il faut que je file, j'ai rdv avec mon banquier...
Attendez deux secondes avant d’aller hypothéquer votre collection de DVD. L’effet de levier n’est pas juste magique — il peut aussi être risqué.
Revenons à votre pote blindé/ultra-endetté. Son parcours d’endettement a sans doute ressemblé à ça :
On constate deux choses :
1. Il consacre l’intégralité de ses revenus supplémentaires à accroître sa capacité d’endettement. Premier job, augmentation, changement de poste : il utilise chaque augmentation pour contracter de nouveaux prêts.
2. Il a gardé le même train de vie depuis qu’il est étudiant — et pas étonnant qu’il n’ait pas une thune...
Alors ? Est-ce qu’il a bien fait de se “leverager à mort” ?
D’abord, votre pote a fait un choix assez extrême : il sacrifie très clairement son confort de vie présent en vue d’un bénéfice accru dans le futur. Les comportementalistes appellent ça avoir une grande sensibilité à la gratification différée (ou juste avoir été traumatisé par le fameux test du marshmallow).
Toujours un peu extrême, quand l’ami Elon a touché 180 millions de dollars en vendant Paypal, il a tout investi SpaceX, Tesla, et Solar City. À tel point qu’il a dû taper ses amis pour pouvoir payer son loyer. Cela vous rappelle un peu votre pote ?
Ensuite ? Au-delà du fait qu’il doit très très souvent manger des pâtes, son calcul est quand même risqué. Car pour que l’effet de levier soit efficace, il faut réunir au moins deux conditions :
1. Trouver des opérations dont le rendement est supérieur au taux d’intérêt. Autant investir dans sa résidence principale, il n’y a aucun doute (on vous a déjà tout expliqué là), autant l’investissement locatif ou la résidence secondaire… Mieux vaut y regarder à deux fois.
2. Ne pas appuyer trop fort sur le levier… car il peut casser.
Revenons au schéma de tout à l’heure. La conséquence de l’équation (mais si, vous vous rappelez, F1/F2 = L2/L1), c’est que plus on rapproche le point d’appui de la charge, plus la force déployée est importante.
Sauf qu’il y a une donnée dont on avait pas encore parlé : la résistance du levier. Et plus on force dessus, plus il risque de se casser… S’il amplifie les gains, le levier amplifie aussi les pertes et dans notre exemple ci-dessus, si a un après le marché immobilier a perdu 10 %, la valeur de votre patrimoine aura fondu :
- Option A : 100 - (100*10/100) = 90€
- Option B : 500 - (500*10/100) - 400 = 50€.
Ce que ça donne en termes financier ? Plus on pousse sur l’effet de levier, plus la pression des dettes est importante… et plus on augmente le risque de faillite. En l’occurrence, si votre pote (on ne lui souhaite pas, évidemment) est viré, il aura du mal à tout rembourser. Et s’il s’est engagé sur des opérations de long terme, comme l’investissement locatif, il va même perdre de l’argent.
Ou quand l’effet de levier devient l’effet de l’évier...
OK Spoune, donc je fais quoi moi ?
La leçon principale de l’effet de levier ? C’est qu’un salaire en CDI n’est pas juste de l’argent de poche — c’est aussi une capacité d’emprunt. Alors bien sûr, c’est à vous de voir quelle part de votre salaire vous souhaitez consacrer à vous endetter — et ça n’a certainement pas besoin d’être 100 %, d’ailleurs votre banque vous l’interdira. Mais l’effet de levier est surtout un moyen hyper efficace de se lancer dans des projets ambitieux.
Bref. Pour résumer, l’effet de levier a des avantages :
- Augmentation des rendements : judicieusement utilisé, il accroît la génération de valeur d’une somme donnée.
- Augmentation des ambitions : l’effet de levier permet de voir plus grand.
- Amélioration de la discipline : on appelle ça le “leverage bonus” ou le precommitment. Si vous avez contracté plusieurs prêts, vous risquez moins d’aller flamber tout l’été à Saint-Tropez. Un des avantages de l’effet de levier, c’est que les engagements pris pour le futur nous obligent à être meilleurs dans le présent.
Et, revers de la médaille, des inconvénients :
- Engagement de long terme : l’effet de levier vous contraint à maintenir un certain niveau de revenus à long terme. Si vous comptiez vous reconvertir en berger dans le Larzac, il faudra attendre d’avoir remboursé votre prêt.
- Sacrifier le présent : c’est l’idée du “plus riche du cimetière”. En forçant sur l’effet de levier, vous serez peut-être riche plus tard, mais vous allez manger beaucoup de pâtes.
Bref, l’effet de levier, c’est comme tout : il faut savoir bien le doser.