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Faut-il déménager à la campagne ?

C’est un couple qui s’échappe à vélo à travers une jungle luxuriante. Derrière eux, Paris et son crépuscule, symbolisé par un énorme soleil orange qui se noie dans le reflet de la Tour Eiffel…

Non, ce n’est pas une de nos rêveries solitaires (quoique) mais l'œuvre de Jean Mallard pour illustrer un des phénomènes les plus prégnants du moment : la fugue citadine 🏃🏼‍♀️ Qui ne s’est pas un jour juré, en se cognant le petit orteil sur le coin du lit de sa chambre mansardée : « c’est fini, demain je m’installe à Saint-Cirq-Lapopie » ?

Vous l’avez compris, dans cette Spoune, on va s’intéresser à une question qui divise les Français encore plus qu’une élection présidentielle :

Fuir la ville, est-ce une vraie bonne idée ?

Entrer en campagne

Soyons honnêtes, la question est rhétorique. Derrière vos pintes en terrasse, combien de pensées vers la campagne ? De projets d’installations néo-rurales ? De rêves de longères dans le Perche ?À première vue, il n’y a pas photo : la campagne bat la ville à plate couture. Dans vos dîners entre potes, la campagne, c’est systématiquement :

  • plus grand
  • moins cher
  • moins pollué
  • plus authentique

À l’inverse, la ville est perçue comme le mal absolu où un monde précaire s’entasse dans des clapiers trop chers pour étouffer dans le smog, la promiscuité et les faux-semblants...

OK Spoune, du coup le match est plié. A ciao, bonsoir ?

À première vue, on aurait pu s’arrêter là — vous dire de tout plaquer pour ouvrir une ferme en permaculture dans les Landes. Mais vous commencez à nous connaître, la réponse est un peu plus compliquée que ça. En réalité, notre attrait pour la campagne peut s’expliquer par deux biais cognitifs bien connus :

  • Le biais de confirmation soit la tendance instinctive de l'esprit à privilégier les informations qui confirment nos a priori. Exemple : J'ai toujours rêvé de vivre à la campagne. Donc la campagne, c'est génial.
  • L’effet de halo, ou « effet de notoriété » — selon lequel une première impression positive est souvent plus forte que plusieurs informations négatives reçues a posteriori. Exemple : La campagne, c'est joli. Donc même si c'est loin et isolé, la campagne, c'est génial.

Pour Jean-Laurent Cassely, co-auteur de l’ouvrage La France sous nos yeux, ces perceptions sont capitales pour expliquer nos envies de fuite. Selon lui :« On regarde les projets néo-ruraux comme on lit les histoires de mariages princiers dans la presse people : pour se projeter dans une vie idéale ».Ce qui produit, dans nos têtes… des représentations.

Michael Douglas vs. Louis La Brocante

Dans le match « ville vs campagne », il est en fait moins question de statistiques que de projections mentales. Et aujourd’hui, celles-ci se portent plus vers le monde rural que citadin…

  • Dans le coin gauche : les années 90 et le stéréotype du macho en costard trois pièces qui bosse dans la finance — aka Michael Douglas dans Wall Street.
  • Dans le coin droit : notre époque et un système de valeurs qui privilégie la proximité, l’environnement et l’authenticité — aka Louis la Brocante.

Et paf ! En 2022, c’est bien l’outsider Louis la Brocante qui met K.O la star Michael Douglas avec un crochet rustique... mais efficace. (❤️ Victor Lanoux).

Intermède rural #1 : Tous au Larzac ?

C’est le point Godwin des débats sur l’exode urbain : « Bah on n’a qu’à tous aller élever des chèvres dans le Larzac ! » Mais au fait, que s’est-il passé là-bas ? Le Larzac, c’était moins la vague(lette) néo-rurale des années 70 qu’un projet de résistance anti-militariste. En 1971, le gouvernement décide d’agrandir un camp militaire. Pendant une quasi-décennie, des exploitants, (dont José Bové) et des néo-ruraux se rassemblent contre le projet. Bref, le Larzac, c’était moins une reconversion dans la fromagerie qu’un projet de ZAD avant l'heure...

Alimentées par nos représentations du passé, nos envies de campagne s’expliquent aussi par une vieille exception française. Les preuves ?

  • 🏠 Les Français possèdent plus de résidences secondaires que tous les autres pays européens. Elles sont pour la plupart situées dans le sud et l’ouest, là où la petite paysannerie était installée avant la Révolution.
  • 🚜 Notre attachement aux terroirs se lit même dans notre vocabulaire : le terme « ville » vient du latin « villa » qui désigne une propriété paysanne, alors que les autres pays latins utilisent plutôt « cité » : ciudad, città, cidade…
  • 🪶 Même les grands écrivains ont maltraité les villes. Dans ses Rêveries, Rousseau parle de « tombeaux de l’humanité » alors que Voltaire pose dans Candide la conclusion bien connue : « Il faut cultiver notre jardin »...

Intermède rural #2 : La résidence secondaire, est-ce une bonne idée ?

Qui ne rêve pas de son petit nid à la campagne ? Attention : entre les impôts locaux, les travaux et l’aménagement fermier chiné sur Selency, le petit nid risque de vous coûter cher. Et surtout, d’être difficile à revendre : la Creuse, ça reste un marché un peu moins tendu que Paris. Bon, après, vous pouvez toujours avoir un coup de chance et miser sur le prochain Touquet — où entre Macron et le confinement, les prix ont pris 20 % en deux ans.

OK Spoune, c'est bien beau vos histoires. Mais le monde bouge, et il bouge vite ! Et au-delà des représentations, il y a des faits...

Tout à fait Thierry. Alors faisons de la géo maintenant. Parce que si vous vous rappelez vos cours de lycée, tous les soldes migratoires confirment depuis un siècle un véritable phénomène : l’exode rural.

Ce ne sont pas les villes qui se vident, mais bien les villages qui se meurent.


Et si quelques études, ici ou , viennent timidement fragiliser la tendance (notamment depuis le premier confinement), les villes ne devraient pas disparaître de sitôt... Pour Hervé Le Bras, le boss de l'analyse démographique, les déplacements (les vrais, pas les vagues projets...) s’expliquent surtout avec l’âge des personnes car :

  • 🏃‍♂️ Les jeunes quittent les zones rurales pour aller étudier et travailler en ville.
  • 👨‍🦼‍ À l’inverse, à la retraite, les citadins refluent vers les zones rurales et les bords de mer.

L’exode urbain est surtout la marque d’un cycle de vie qui privilégie différents espaces à différents moments de l’existence. Ou, pour le dire autrement, si tous vos potes vous parlent de quitter Paris, c’est surtout parce qu’ils sont dans une période de leur vie qui les y encourage... ou parce qu'ils pensent ne pas avoir les moyens de continuer à y vivre confortablement.

(By the way : si c'est le cas, c'est sans doute qu'ils n'ont jamais entendu parler de Virgil...)

Intermède rural #3 : Life of Eugène

Quand on regarde le parcours du Rastignac de Balzac, il suivait déjà cette trajectoire campagne — ville — campagne. Le petit Eugène naît à Angoulême. Adolescent, il rêve de Paris. À 21 ans, il monte à la capitale pour ses études. Jeune homme, il devient membre des « roués parisiens » qu’il admirait tant à son arrivée à Paris. Puis, plus vieux, Rastignac s’ennuie dans ses fonctions ministérielles et part de plus en plus souvent... en province.

Si Rousseau et Voltaire critiquaient les villes, ils ne niaient pas eux-mêmes qu’elles sont souvent un passage obligé pour se trouver et s’accomplir. Les villes, ce sont les lieux où les idées s’accouplent.

Pour résumer :

  • 🏙️ La ville est le lieu où nous devenons qui nous sommes.
  • 🏡 La campagne est l’endroit où l’on va une fois que nous savons qui nous sommes.

Bon au final, ville ou campagne... comment choisir ?

Loin de nous l’idée de vous dire quand et comment partir, mais voici quelques idées pour votre prochaine discussion en terrasse :

La checklist pré-reconversion paysanne

  • Attention aux biais cognitifs : parler de s’installer à la campagne ne veut pas dire que tout le monde est en train de le faire.
  • Ne confondez pas weekend bucolique et projet de vie à long-terme. Non, ce petit Airbnb près des vignes en fleurs, ce n’est sûrement pas la vraie vie à l’année.
  • N’oubliez pas que choisir c’est renoncer. Rappelez-vous que la tyrannie du choix est une étape souvent obligatoire pour apprendre à sortir de sa zone de confort (et de son cocon).
  • Une fois bien décidé·e·s, faites-vous accompagner. Que ce soit un tiers-lieux, un projet de reprise de ferme ou la réinvention des cafés village. Sinon, ça pourrait bien mal tourner.
  • Si vous voulez rester en ville mais que vous avez du mal à le supporter, sachez que ce très beau projet prend en compte les émotions des citadins pour imaginer d’autres manières de faire la ville.

Certes, l’opposition ville/campagne est particulièrement tranchée dans un pays hyper centralisé comme la France. Mais on peut aussi voir le verre à moitié plein : on peut rêver de campagnes redynamisées ET de villes plus vertes et plus supportables. Et si, un jour, Louis la Brocante pouvait être heureux à Paris ?