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Faut-il déshériter ses enfants ?

Avouez, c’était votre case préférée à La Bonne Paye : “Héritage : recevez 10 000 francs”. Tout de suite, la partie commençait vraiment très bien… 

Hériter, dans un jeu, ça fait toujours plaisir. Mais dans la vraie vie ? Juste résultat du labeur de ses parents ou insupportable vecteur d’inégalités sociales ? Faire hériter ses enfants, est-ce l’assurance de sécuriser leur avenir ? Ou au contraire la certitude de leur gâcher la vie ?

Pour la rentrée, Spoune revient en force avec un sujet qui devrait bien réveiller les débats de vos dîners de rentrée : faut-il déshériter ses enfants ?

Chéri, j’ai déshérité les gosses

Déshériter ses enfants ? Quand on pense à Laura et David Hallyday, ça ne paraît pas très glop. Et pourtant : de plus en plus de chefs d’entreprise annoncent publiquement avoir déshérité leurs bambins.

Bill Gates

  • fortune perso : 78 milliards de dollars
  • ce qu’il lègue à ses enfants : 7 millions de dollars chacun

Pierre-Emmanuel Stérin, fondateur de Smartbox

  • fortune personnelle : 800M€
  • héritage pour ses enfants : rien. Sa fortune sera placée dans un fonds d’investissement qui financera des associations.

Charles Kloboukoff

  • propriétaire de Léa Nature (500M€ de CA)
  • héritage pour ses enfants : pas son entreprise, qu’il transmettra à un fonds philanthropique.

Et liste ne s’arrête pas là : Shaquille O’Neal, Michael Bloomberg, Jackie Chan, Warren Buffet, et plein d’autres. Sauf que dans leur esprit, déshériter, c’est tout sauf une sanction. Mais plutôt un service à leur rendre. Parce qu’apparemment…

Qui aime bien… déshérite bien ?

À la question, “combien d’argent faut-il donner à ses enfants ?”, Warren Buffet répond : 

“Assez pour qu’ils puissent tout faire, mais pas suffisamment pour qu’ils puissent ne rien faire”. 

Pour certains milliardaires, naître avec 5 millions d’euros serait “le pire défaut génétique”. D’où ce qui est sans doute le All Time #1 problème de riches : comment ne pas pourrir ses enfants avec son argent ? 

Ce qu’on pourrait appeler assez intuitivement “l’effet fils à papa” porte un autre nom (un peu plus classe) : l’effet Carnegie, du nom du grand philanthrope américain (environ 5 milliards de dollars actuels distribués pendant sa vie : nice). L’effet Carnegie, c’est cette tendance des enfants de super-riches à gâcher leur vie, qu’il résume ainsi dans son célèbre Gospel of Wealth :

“Plus on hérite, moins on travaille”.

L’héritage serait ainsi le plus grand frein à l’esprit d’entreprise et à l’expression du potentiel des individus. Surtout que, comme chacun sait… l’argent rend mauvais.

Problème de riche #1 : comment ne pas gâter ses enfants 

Question délicate…  Pour y répondre, certains family offices ont imaginé des techniques assez élaborées. Quelques exemples :

  • Technique 1 : le test. Donnez leur 20K et voyez ce qu’ils en font : investissement ? Jet-ski aux Bahamas ou go-go dancers à Vegas ? Tirez-en les leçons. 
  • Technique 2 : le 2e salaire. Limitez l’héritage à un versement annuel équivalent au revenu de votre héritier aka l’option “travailler plus pour gagner plus” (prévoir une exception pour ceux qui bossent dans l’humanitaire).
  • Technique 3 : les paliers. Instaurez des versements anniversaires. 5 % à 20 ans (pour s’amuser), 10 % à 25 ans (pour rembourser l’université), 20 % à 30 ans (pour acheter un appartement), etc…

Euh… Spoune, sérieusement ? Hériter n’aiderait pas à réussir ? 

Bon dit, comme ça, c’est vrai que c’est un peu exagéré. Même si l’héritage peut être handicapant à partir d’un certain montant, la plupart du temps, c’est un énorme facteur de réussite. En réalité, c’est même le vecteur le plus puissant de reproduction des inégalités. 

Et ça fait longtemps que ça dure : en Italie comme en Angleterre, les élites du XVe ou du XIIème siècle étaient déjà les mêmes qu’aujourd’hui… 

De nos jours ? Même si l’ascenseur climatisé de la mobilité sociale moderne a remplacé le frêle escabeau médiéval, en vrai… bof. En 2022, l’INSEE a mesuré pour la première fois la mobilité sociale intergénérationnelle en France. Résultat ? 

“Les enfants des familles aisées ont 3 fois plus de chance d’être parmi les 20 % plus aisés que les familles modestes”. 

L’héritage, vecteur d’inégalités ? En France, ça fait longtemps qu’on est au courant… et qu’on lutte contre. Petit rappel historique : 

  • 1789 : Révolution Française : suppression de l’hérédité du pouvoir (fin de la monarchie et de la transmission des charges)
  • 1804 : Code civil Napoléonien : suppression du droit d'aînesse (obligation d’égale répartition du patrimoine familial entre frères et sœurs). 
  • 1901 : instauration de l’impôt progressif sur les successions 

Problème de riche #2 : combien je vais payer de droits de succession ?

Le principe de l’impôt progressif de 1901 est le même qu’aujourd’hui. Mais alors, les droits de succession, ça coûte vraiment une blinde ? On a fait le calcul. 

  • à l’intérieur d’un couple marié ? Les droits de succession sont nuls => droits de succession = 0
  • pour vos enfants ? C’est comme l’impôt sur le revenu : un pourcentage qui augmente progressivement selon les tranches, et qui ne s'applique qu'au-delà de 100 000 euros. En dessous, vous ne payez rien. Au-dessus, ça donne ça :

Exemple, pour 1 million d’euros d’héritage, vous payez : 

8*0,05 + 4*0,1 + 4*0,15 + 534*0,2 + 350*0,30 + 100*0,4 = 212

Soit 25 % d’imposition moyenne.

Pas clair ? Testez par vous-même grâce à ce simulateur.

En 1901, cet impôt progressif sur les successions est une petite révolution. Tout au long du XIXème siècle, le capital rapportait beaucoup plus que le travail. Au point que Balzac disait dans un célèbre passage du Père Goriot (en gros) :

“Rien ne sert de travailler, il vaut mieux devenir rentier.” 

Et le mieux, pour ça ? Comme le conseille Vautrin à Rastignac, c’est encore d’épouser une héritière ou un héritier… 

Début XXème siècle, ce fameux impôt progressif fait le job : entre les guerres et les crises financières, le patrimoine rapporte moins et l’effet rentier recule. Mais, à partir des 70’s… il remonte. Entre 1970 et 2021, le part de l’héritage dans le patrimoine des Français est passée de 35 à 60 %... soit un niveau proche du XIXème sicèle.

Voir ce graphique de la banque de France

Et ce phénomène risque de durer : avec “l’effet rentier”, aka la magie des intérêts composés, plus tôt on épargne, plus on gagne. Et les non-héritiers peuvent travailler tout ce qu’ils veulent, les inégalités continuent à se creuser…  D’où le retour de la question fatidique : et si on abolissait l’héritage ?

Abolir l’héritage ? OK, mais pas le mien…

Fun fact : des économistes qui tombent d’accord, c’est à peu près aussi rare que l’intelligence chez Hanouna. Mais pour le coup, il y a un sujet sur lequel ils sont alignés: l’augmentation des droits de succession serait hyper bénéfique à l’économie. Elle entraînerait : 

  • une réduction des inégalités
  • une augmentation des biens immobiliers mis sur le marché et une baisse des prix du secteur
  • une augmentation de la consommation

Certains vont même jusqu’à proposer une mesure assez radicale : la mutualisation des successions. En répartissant équitablement l’intégralité des héritages transmis chaque année, chaque Français pourrait recevoir, à sa majorité, un joli pactole : en 2015, ça aurait par exemple été 310 000 euros/personne.

Un peu extrême, certes. Ceci dit, on a peu de chances d’en arriver là un jour, car le sujet de la taxation de l’héritage est plutôt sensible : 

  • 87 % des Français sont contre l’augmentation des droits de succession
  • On voit mal quel Président oserait instaurer une mesure aussi impopulaire… 

Alors en attendant, on fait quoi ?

  • On relativise en se disant qu'au-delà du compte en banque, l’héritage prend évidemment plein d’autres formes : capital social et culturel, réseau, goût du travail… 
  • On se rappelle que pour lutter contre les inégalités intergénérationnelles, Virgil permet à ceux qui n’ont pas hérité d’accéder aussi à la propriété
  • On se réjouit que ces patrons dont on parlait en intro imaginent des modèles d’entreprise pas uniquement fondés sur l’argent…

Conclusion

Un patrimoine précieux à préserver avant de le transmettre à ses enfants ? Quand on parle argent, 87 % des Français sont d’accord. Quand on parle environnement… c’est moins flagrant. On aimerait pourtant bien que certains soient aussi soucieux de notre patrimoine environnemental commun que de leur patrimoine économique (coucou Bill Gates, élu premier pollueur de l’année avec ses 2 jets privés). Déshériter ses enfants ? Why not. Les priver de leur planète ? No way. Et pour ça, il ne faut pas forcément transmettre plus. Mais surtout prendre moins.

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